Les machines de l'ancien Etat 1878 -1908

I 120 et 121 I Baldwin I 220 I 221 I 030 I 130 I 040 I X2X tender I 030 tender

 

Il y a cent ans: le "far-west" entre Loire et Gironde

Document: L.Fournier

Mise à Jour 28 janv 2006 µ

 

 

L’ancien réseau de l’Etat, créé en 1878, étendait ses lignes entre Loire et Gironde, dans un triangle Nantes- Tours- Bordeaux, relié à Chartres et par- delà à Paris- Montparnasse par une sorte de " corridor ferroviaire ", la ligne Chartres- Saumur.

 

A la fin du siècle dernier, le réseau, à l’instar des autres réseaux français, se vit confronté à un accroissement des charges joint à une volonté d’améliorer les temps de parcours, toutes choses que permettaient les chaudières plus puissantes ainsi que l’application du bogie directeur assurant une meilleure tenue de voie. Bref, le temps était venu de remplacer les petites 120 et 121 de type " Forquenot " qui remorquaient rapides et express depuis les origines du réseau pour passer aux 220.

 

L’Etat commença par copier les 2. 138 du Nord, puis élabora une 220 au dessin original à " surfaces de moindre résistance " (appellation d’époque du carénage), sorte d’homologue des " C " du P. L. M. qui fut reproduite en petite série. 

Mais le réseau créa la surprise en 1899 en important des Etats- Unis deux séries de 220 et une série " d’Atlantics " 221 construites par la firme Baldwin de Philadelphie. On peut s’interroger sur les raisons de ce choix. Deux réponses viennent à l’esprit : tout d’abord, en cette époque qui fut " belle ", en particulier pour les chemins de fer, les carnets de commande des constructeurs étaient remplis et les délais d’attente s’allongeaient d’autant ; ensuite, les Etats- Unis commençaient à s’affirmer comme une jeune puissance, ce qu’allait confirmer la première guerre mondiale. Des expositions comme celle de Chicago en 1878 avaient voulu présenter le savoir- faire et l’habileté des ingénieurs américains. En résumé, cette production faisant appel à des habitudes technologiques différentes des nôtres intriguait les ingénieurs européens et nous tenons là sans doute la cause principale de la réception par le réseau de l’Etat de ses trois séries de locomotives entre 1899 et 1900, numérotées 2801 à 2805 (220 compound), 2851 à 2856 (220 simple expansion) et 2901 à 2910 (221 à simple expansion)

 

 On remarque l’allure très américaine de la machine avec sa chaudière " bossue ", sa grosse lanterne, sa boîte à fumée sans revêtement et la vaste cabine vitrée. Comme toutes ses soeurs, la locomotive porte le nom d’une localité de l’ouest de la France : en l’occurrence " Chemillé " (Maine et Loire)

 

On relevait sur ces trois séries de machines de nombreux points communs qui reflétaient les habitudes américaines de l’époque : châssis en barres ; chaudière " wagon- top " haut perchée sur le châssis et retenue à la plate- forme avant par des tirants métalliques ; cabine spacieuse équipée de sièges pour l’équipe de conduite avec " rue de chauffe " pour que le chauffeur puisse accomplir son travail sans rencontrer de rupture de niveau entre le tender et la machine. Sur la face avant de la cabine, deux portes s’ouvraient sur les tabliers latéraux garnis de rambardes, ce qui autorisait, le cas échéant, une intervention en pleine marche sur la chaudière. Enfin, une imposante lanterne prenait place devant la cheminée parachevant ce style " Buffalo- Bill " si inattendu dans nos contrées...

 

Les locomotives " Baldwin " livrées à l’Etat ne différaient entre elles que par leur appareil moteur : les " 2850 " et " 2900 " avaient été conçues à simple expansion deux cylindres avec blocs tiroirs- cylindres inclinés selon la pratique américaine. Les " 2800 " avaient reçu un appareil moteur compound à quatre cylindres d’un modèle particulier inventé par l’ingénieur Samuel Vauclain.

 

Le moins qu’on puisse dire, est que les " Américaines de l’Etat" ne passèrent pas inaperçues auprès du public. La présence en tête des principaux express et rapides de ces machines exotiques auréolées de vertus de puissance et de fiabilité constituèrent, à n’en point douter, un argument publicitaire pour le jeune réseau. On retrouvait les "Baldwin " en service sur ses principales grandes lignes : Nantes- Bordeaux, Nantes- Poitiers mais surtout " Paris- Bordeaux par l’Etat " et " Paris- Royan " avec son fameux rapide d’été, le " 99 "...

 

Laissons à présent la parole à un témoin oculaire. Il s’agit du grand dessinateur Pierre Delarue- Nouvellière qui raconte dans son merveilleux ouvrage de souvenirs " les Trains qui passent " :

 " Un retour de vacances. Nous voici sur le quai d’une petite gare de la Sarthe, Bessé sur Braye, sur la grande artère Paris- Bordeaux par Saumur, attendant le train qui va nous conduire à Paris- Montparnasse. "

 " Un coup de sifflet au loin. Ce n’est pas un son clair, joyeux, mais un cri rauque rappelant la sirène d’un navire. Le train approche et la locomotive passe dans un souffle brûlant. (...) Ce n’était au demeurant qu’une simple 220, mais elle était américaine, sortant des ateliers Baldwin. Si belle avec ses grandes roues entièrement découvertes surmontées de chaque côté de la chaudière d’une passerelle avec garde- fou, sa courte cheminée précédée d’une énorme lanterne. L’abri était vaste comme une maison. (Elle) n’avait pas la silhouette trapue, compacte des machines françaises; elle était presque squelettique, dégingandée. C’était bien une proche parente des locomotives américaines de mes livres d‘aventures, avec le chasse- vaches et la cheminée conique en moins. "

  

La popularité de ces locomotives est par ailleurs attestée par la carte postale. Prenez les cartes représentant des gares de l’ancien réseau de l’Etat avant 1908 : vous y verrez souvent une " Baldwin". Le photographe a voulu immortaliser " le rapide " avec " l’Américaine " en tête, cette machine impressionnante qui vient de loin, que nul autre que nous n’en a de pareilles....Ainsi filèrent à travers les calmes campagnes du Maine, de l’Anjou, du Poitou et des Charentes ces monstres dégingandés, bardés de gros rivets, à l’échappement saccadé et au sifflet rauque...Les " Baldwin " faisaient partie du paysage...

 

 

 (Photo de la 221 en tête du Thouars- Paris) 

Sur cette photo est bien visible l’une des portes située sur la face avant de la cabine qui permettait d’accéder au tablier. On note le faible nombre de voitures et l’aspect pittoresque de l’ensemble...

 

Pourtant, les essais effectués ne démontrèrent pas une quelconque supériorité sur les machines françaises équivalentes: leur coût d’entretien inférieur dû à leur robuste conception était compensé par une consommation supérieure de charbon. Aussi, le réseau de l’Etat préféra- t- il adopter pour les séries à venir la bonne technique française " du Bousquet- de Glehn " à laquelle devaient appartenir les 221- 2950, puis les 230- 3800 dites " Panama ". Deux " atlantics " Baldwin furent toutefois les premières machines du réseau à recevoir un surchauffeur.

 

En 1909, au moment du " Rachat de l’Ouest ", l’effectif était au complet. Les 221 furent rénumérotées " 221- 001 à 010. ". Les 220 à simple expansion " 220 001 à 006 ". Les 220 compound " 220 801 à 805 ".

 

Elles virent débarquer les " boys " du Général Pershing en 1918 mais leur retrait de service fut envisagé dès la fin de la " Grande Guerre ". La faiblesse des effectifs, le manque de pièces détachées joints à la disponibilité croissante de 220 et 221 de conception française chassées des roulements " nobles " par les " pacifics " eut pour conséquence un retrait de service précoce. Dès 1923, la dernière " 2850 " est radiée de l’effectif. Les " Atlantics " tiendront jusqu’en 1930. Parmi leurs roulements, un express " Bordeaux- Royan " d’été partiellement formé de voitures de troisième classe à lanterneau, ex- restaurants de l’Etat, à l’allure on ne peut plus américaine...

 

La dernière survivante des " Baldwin " de l’Etat fut la 220- 803 (ex 2803) compound Vauclain radiée en 1932. A- t-elle été oubliée au fond d’une remise, utilisée comme chaudière fixe ou affectée à des roulements occasionnels en " cannibalisant " certaines de ses " soeurs ", nul ne le sait....

 

 

 

Sur cette photo prise à Saintes après le rachat de l’Ouest, la locomotive porte l’immatriculation Ouest- Etat mais a gardé sa plaque de baptême " Richelieu ". On note que seul l’appareil moteur distinguait cette série de la série 2850 présentée plus haut. La porte de la cabine est ouverte. C’est une machine de cette série, la 220- 803 qui fut amortie la dernière en 1932.

 

C’est ainsi que fut définitivement tournée une page pittoresque de l’histoire du chemin de fer en France.

 


Compléments:

ci joint d'autres images de ces machines

220 Baldwin 2805 et son tender (coll E.de.Larquier)

220 Baldwin 2856 (coll E.de.Larquier)

 

221 Baldwin 2909 (coll E.de.Larquier)

 


Pour en savoir plus:  

- L. M. VILAIN : le Matériel moteur et roulant des chemins de fer de l’Etat- Editions Dominique Vincent (épuisé) 

- J. M. COMBE : " 1900 La Mode de l’Américanisme " in " Rail- Magazine " n° 22. 

- P. DELARUE- NOUVELLIERE : " Les Trains qui passent "- Editions Peladan (épuisé).