La prise d'eau sans arrêt Envoi de R.Hamel
En 1902, le réseau de l'ETAT mettait en service, sur son artère principale, trois prises d'eau sans arrêt. Mais de quoi s'agit-il ?
Pour fonctionner une locomotive à vapeur a besoin d'un combustible (en général du charbon) et d'eau. Dans la chaudière, l'eau est transformée en vapeur . Une fois que la vapeur a été utilisée dans les cylindres, elle est rejetée dans l'atmosphère*. Régulièrement, le train doit s'arrêter pour " faire de l'eau " et plus le train est lourd, le profil de la voie accidenté plus la machine consomme…
A la fin du XIX eme siècle, les locomotives sont de plus en plus grosses, rapides et….gourmandes. C'est la quadrature du cercle :
Les trains doivent aller plus vite et sont plus lourds il faut donc des machines plus puissantes donc qui consomment plus donc des tenders plus grands donc plus lourds….Parfois, il faut revoir l'armement de la voie et renforcer certains ouvrages d'art. Une nouvelle locomotive représente un investissement financier important de plus sa réalisation demande du temps.
Le réseau de l'ETAT, qui encore pour un temps cherche à rivaliser avec la Compagnie du Paris-Orléans sur la desserte de Bordeaux, opte pour une solution différente des autres compagnies françaises. En effet ces dernières font construirent des machines et des tenders plus grands. Une autre solution existe, depuis 1866, un ingénieur anglais du nom de RAMSBOTTOM a mis au point une technique qui consiste à ravitailler le train, en eau sans s'arrêter ! Mais comment ça marche ?
Près de Château-du-Loir, passage d'un train de marchandises sur le bac (Coll R.Hamel)
Sur une voie, en palier, un bac rempli d'eau de 15 cm de haut et environ 400 mètres de long est placé entre les rails. Quand la locomotive ou plus exactement le tender arrive sur cette rigole un bec ou écope est abaissé. Grâce à la vitesse, entre 40 et 80 km/h, l'eau remonte dans le tender. Oui, comme le feront beaucoup plus tard les canadairs !
Schéma du tender et du système d'écopage (coll R.Hamel) Profil de la voie d'après un document SNCF de 1950(coll R.Hamel)
La ligne de Paris à Bordeaux comportait trois prises d'eau :
- au PK 110 près de Illiers (28)
- au PK 220 près de Château-du-Loir (72)
- au PK 440 près de Villeneuve-la-Comtesse (17)
Près de Château-du-Loir, un agent chargé du remplissage des bacs. (Coll R.Hamel)
Au début du XX eme siècle, les trains faisaient Paris/Thouars soit 326 km avec la même locomotive et un seul arrêt à Chartres.
Comme l'atteste la carte postale, Chartres/Thouars était la plus longue étape en traction vapeur en France.
Près de Château-du-Loir, le rapide n° 99 èffectue une prise d'eau sans arrêt. (Coll R.Hamel) Ce dispositif d'écopage pouvait être installé sur les tender 22m3, les tenders de 20m3 (3essieux) des 221 2951 à 2960, ainsi que sur les tenders de 21m3 des 230 780 à 800.
En 1911, après le rachat de la Compagnie de l'OUEST, la ligne Paris/Cherbourg sera équipée du même dispositif à Arnières (27). Il s'agit de l'installation de Villeneuve qui fut démontée au moment où la nouvelle ligne Saint-Jean-d'Angely/Saintes entrait en service. D'autres lignes seront équipées comme Paris/Le Mans à Courville (28) et la plus célèbre Paris/Le Havre à Lery-Pose (27). Cette dernière a été immortalisée grâce au film " La bête humaine " avec Jean Gabin car à deux reprises (la première fois à l'extérieur et la deuxième fois sur le tender) l'équipe de conduite procède à cette " écope ".
En 1938, la jeune SNCF supprimera le trafic grande ligne de l'artère originelle. Pendant la guerre, les installations seront démontées.
Seuls les anciens et les cartes postales nous rappellent l'exploit du 798, 799, 779 et 778, ces trains rapides qui relaient Paris à Bordeaux, Royan et la façade atlantique.
De tous ces dispositifs peu de choses subsistent. Près de Château-du-Loir la guérite, en bien mauvais état, a survécue et il est encore possible de voir une des canalisations déboucher entre les rails.
Nota :Les informations données ici proviennent principalement de trois sources :
- Les archives de l'ETAT conservés par le centre des archives de la SNCF au MANS .
- D'un fond d'archives personnels (documents et témoignages).
- De propres recherches effectuées sur le terrain.
*NDLR: Certains pays manquant d'eau récupéraient toutefois la vapeur, la condensait et la retournait dans le tender (tender à condensation, système Caprotti...) Ces dispositifs étaient essentiellement utilisés dans les pays chauds et n'ont pas été utilisés en France.